Cela fait déjà quelques semaines que cette grande aventure est derrière moi, mais elle continue de résonner. Pas une semaine ne passe sans que l'on m’en parle, sans que l’on me pose des questions ou que l’on me félicite pour cette expérience marquante. J’essaie de répondre du mieux que je peux, d’accepter les compliments avec gratitude, mais il m’est encore difficile de pleinement accueillir ces éloges et de trouver les mots justes pour en parler. J’ai tenté plusieurs fois de mettre cette expérience en mots, mais même cela reste un défi. Pourtant, m’exprimer par écrit est habituellement mon point fort, bien plus que de le faire à l’oral.
Alors pourquoi est-ce si difficile de trouver les mots pour parler de cette expérience, qui, en théorie, devrait être au cœur de ma vie en ce moment ?
Parce que, soyons honnêtes, je n’ai pas envie de vous parler de mon alimentation avant, pendant ou après la course. Je n’ai pas envie de vous dire que mes urines sont restées claires tout au long du parcours. Et encore moins de vous avouer qu’au kilomètre 142,1416, mon corps s’est rebellé, refusant de gérer la moindre descente.
En réalité, ce que j’ai vraiment envie de vous partager, c’est qu’en dépit de tout, ce jour-là, j’ai réussi à parcourir les 160 km du Bromont Ultra avec un sourire aux lèvres, un regard concentré, et un mental parfaitement aligné. Une réussite qui, pour une raison difficile à expliquer, a transcendé les défis et les douleurs.
Est-ce que ce fut difficile par moments ? Évidemment ! On parle tout de même d’une course de 160 km majoritairement en sentier l’automne au Québec. Je peux vous assurer que grimper une deuxième fois la Lieutenant Dan, qui n’est normalement pas si redoutable, tout en me faisant dépasser par les coureurs encore frais du 25 km, a été un moment éprouvant. Et les interminables kilomètres d’asphalte entre deux sections de sentier ? Un défi en soi, à chaque tour ! Sans parler du moment où mon j'ai vu un chien déguiser en fantôme...
Est-ce que j’ai eu des moments où j’ai voulu abandonner ? Bien sûr, mais j’ai une règle claire : il y a trois raisons objectivement valides pour abandonner.
1- Une blessure (pas une simple douleur, mais une vraie blessure),
2- un risque sérieux pour ma santé,
3- ne pas réussir à respecter un cut-off.
Tant qu’aucune de ces raisons ne se présentait, la règle était simple : je continue.
Est-ce que j’aurais pu faire les choses différemment ? Bien sûr. Je pourrais être dure avec moi-même et me dire que si j’avais mieux travaillé sur les descentes techniques, j’aurais peut-être gagné quelques minutes. Si j’avais accumulé plus de volume d’entraînement, peut-être que mon corps aurait mieux tenu. Je pourrais aussi analyser chaque moment passé aux ravitaillements, me reprocher d’avoir pris trop de temps à discuter, à manger, à me faire masser, à rire et à raconter des anecdotes. Peut-être que cela m’a coûté du temps. Mais au fond, qu’aurais-je vraiment gagné ? Quelques minutes, une demi-heure, peut-être une heure ? La réalité, c’est que j’ai la génétique que j’ai, l’expérience que j’ai, le temps que j’ai et l'envi que j'ai. Certains facteurs sont difficiles à modifier. C'est important d'accepter ces limites pour avancer, sans regret, mais avec la détermination de tirer parti de ce qu'on peut encore contrôler. Alors non, je ne l’aurais pas fait autrement. Parce que c’est exactement comme ça que je voulais vivre cette course : sans montre, sans chronomètre, sans pression, sans charge mentale. Juste en profitant pleinement de chaque instant.
Est-ce que j’ai envisagé le podium ? Non, pas du tout ! Mon seul objectif était de finir dans les meilleures conditions possibles, sans me créer de faux espoirs ni passer en mode "performance". Mon équipe de soutien avait même reçu des instructions claires : ne me parlez ni de mon temps, ni de mon classement. Mais évidemment, il y a eu un moment où l’idée du podium est devenue plausible. Oui, cette pensée m’a effleurée l'esprit, mais j’ai travaillé mentalement pour ne pas me laisser envahir par elle. Je me suis accrochée rapidement à mon plan initial: finir la course sans pression inutile.
Quand ai-je su que je finirais ma course ? La vérité, c’est que je ne l’ai jamais su. Jusqu’à franchir l’arche d’arrivée, je ne me suis jamais dit "je vais la finir". J’ai compris que dans une course d’ultra-endurance, les chances que tu ne finisses pas sont souvent plus grandes que celles de finir. C’est justement cette incertitude qui me stimule. L’ultra, c’est l’incertitude à chaque pas, le lâcher-prise total tout en restant prêt à gérer les imprévus. Ces imprévus qui, à chaque instant, peuvent te pousser à t’arrêter. Mais c’est cette gestion de l’incertitude qui rend ce défi beau et fascinant : ne pas savoir, mais continuer à avancer.
Alors, vais-je refaire des courses de 160 km ? Oui, probablement, mais ce n’est pas une distance que je veux absolument dépasser… du moins, pour l’instant. Elles sont exigeantes, et la préparation demande une hygiène de vie rigoureuse. Les mois, voire les années de préparation, sont colossaux. Je respecte profondément ceux qui enchaînent ces courses plusieurs fois par an, qui s’y lancent sans stress. Pour ma part, j’ai aimé l'expérience, mais je n’ai pas ressenti le besoin de m’y consacrer entièrement. Si la vie me conduit à en refaire, tant mieux. Si ce n’est pas le cas, je n’en serai pas plus malheureuse. Tant que je peux m’entraîner, m’amuser et vivre des expériences enrichissantes, c’est tout ce qui compte pour moi.
Finalement, cette aventure de 160 km a été bien plus qu’une simple course. J'ai réalisé que c'était un défi mental, une exploration de mes limites et de ma capacité à accepter l’incertitude. Chaque étape m’a appris quelque chose sur la résilience, la patience et l’importance de vivre pleinement l’instant présent, sans se laisser submerger par les attentes extérieures ou les objectifs préétablis. Oui, la course a été difficile, mais c’est précisément ce qui en fait une expérience aussi enrichissante. L’ultra-endurance, c’est un peu comme la vie : imprévisible, parfois rude, mais toujours pleine de leçons si l’on choisit de continuer à avancer, un pas après l’autre. Je ne sais pas ce que l’avenir me réserve, mais ce que je sais, c’est que tant que j'aurai le plaisir de courir, m’entraîner et vivre des moments aussi intenses et gratifiants, c’est cela qui compte avant tout. Parce qu' au fond, chaque course, chaque kilomètre parcouru, chaque difficulté surmontée, n’est qu’une partie d’un voyage plus grand : celui de se découvrir, se repousser et savourer chaque réussite, petite ou grande.
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